Le billard a marqué de manière indélébile la culture populaire au fil des décennies. Il apparaît dans de nombreux films, séries et œuvres littéraires, où il est souvent associé à la compétition, à l’élégance ou à l’intrigue. Des salles de billard enfumées des films noirs aux couleurs des œuvres classiques de Van Gogh ce jeu est devenu un véritable miroir de la société, du charme désinvolte et parfois de la rédemption. Il représente à la fois un passe-temps accessible et un art de la maîtrise, consolidant ainsi son statut d’icône culturelle.
Le billard au cinéma
Le billard est le personnage principal de nombreux films
Quel meilleur décor qu’une salle de billard pour mettre en scène des moments de tension, de confrontation ou de détente entre les personnages d’un film? C’est ce qu’à compris Robert Rossen en réalisant en 1961 L’Arnaqueur.
Ce film emblématique met en vedette Paul Newman qui représente l’archétype du joueur de billard de l’époque qui engage des paris en affrontant des rivaux moins aguerris. Le personnage d’Eddie Felson a profondément marqué l’imaginaire collectif, illustrant le billard comme un jeu à enjeux élevés, où le talent et la stratégie jouent un rôle essentiel.
25 ans plus tard Martin Scorsese mettra à nouveau en scène le personnage d’Eddie dans la suite La couleur de l’argent où il trouvera en Tom Cruise un poulain pour lui succéder. Ces deux films approfondissent les thèmes de la rivalité, de l’apprentissage et de la déloyauté dans l’univers du billard tout en dépeignant une certaine vision de l’american way of life. Le succès de ces deux chefs-d’œuvre a énormément contribué au développement du billard américain en Europe dans les années 80, période durant laquelle de nombreuses salles équipées parfois de plusieurs dizaines de tables ont été créées.

Le billard trouve un rôle dans chaque style de cinéma
Comédies, films d’action, films noirs : le billard trouve toujours sa place dans le décor lorsqu’il n’est pas un personnage à part entière comme dans les 2 précédents films évoqués. Les plus grands acteurs, de toute nationalité, ont tous joué une scène dans laquelle se trouve un billard :
- La séquence comique la plus emblématique du cinéma français concernant un billard est sans doute celle extraite de La zizanie de Claude Zidi avec Louis de Funès qui maltraite avec beaucoup de réussite un drap de billard neuf! On pense également à la scène de Jerry Lewis dans Les tontons farceurs.
- Le billard situé dans un bar est l’endroit parfait pour tourner des scènes de film d’action. La combinaison de rivalité, d’alcool et de convoitise engendre des scènes de conflit où les queues et les boules deviennent même des armes. On pense notamment à Trainspotting de Danny Boyle avec Robert Carlyle, ou encore à Shaun of the dead avec sa séquence épique opposant les personnages principaux a une armée de zombies
- Mais le billard est surtout le lieu idéal pour que les personnages principaux se rencontrent. Cela est l’occasion pour les réalisateurs de célébrer la joie de retrouvailles comme dans Voyage au bout de l’enfer entre Robert de Niro, Christopher Walken et John Cazale. Cela peut aussi être le cadre parfait pour une rencontre impromptue entre 2 monstres sacrés du cinéma comme Montgomery Clift et Elizabeth Taylor dans Une place au soleil. Et bien sur la partie de billard sert aussi de toile de fond à des dialogues concernant une enquête, un futur braquage ou des rivalités entre différentes factions comme par exemple dans Mélodie en sous-sol avec Jean Gabin et Alain Delon ou encore dans Les incorruptibles de Brian de Palma avec Kevin Costner et Sean Connery.
Les séries télévisées ne sont pas en reste puisque plusieurs intègrent des séquences de billard pour illustrer des instants de détente ou d’affrontements entre les personnages. Le billard y est encore un instrument propice à la montée de la tension, notamment dans des séries telles que Friends, où l’on voit Joey et Chandler jouer dans certaines scènes, ou encore The Sopranos, où il sert de cadre à des négociations ou à des conflits.
Le billard en photographie et en peinture
Dans la droite lignée de son utilisation par le 7ème art, la salle de billard offre un décor très inspirant pour de nombreux photographes et peintres.
Le billard en peinture
Depuis le 18eme siècle et jusqu’à sa popularisation au 20ème siècle le billard a souvent inspiré les artistes dans pour leurs œuvres d’art. Les formes géométriques du billard offrent un sujet particulièrement adapté à Bracque dans “la table de billard”, à Caillebotte et “le billard non fini” ou encore à Edouard Pignon avec son “étude pour les joueurs de billard”. Mais c’est Man Ray qui est sans doute allé le plus loin avec son billard français semblant s’étirer à l’infini vers un ciel rempli de nuages multicolores dans son tableau “La Fortune”.

Si le billard peut symboliser l’introspection ou la solitude en évoquant des atmosphères calmes et intimes comme le propose en 1892 Edgar Degas avec sa “Salle de billard au Ménil-Hubert” c’est aussi un cadre idéal pour évoquer le lien social, le lieu de rencontre et l’animation qui règne dans une académie. Ce thème est abordé avec leur style propre par différents artistes tels que:
- Jean Simeon Chardin dans “Le jeu de billard” en 1723,
- Charles Edouard Boutibonne qui représente un groupe de femmes pratiquant le billard en 1869 dans “The Game of Billiards”,
- Gauguin et Van Gogh ont chacun livré leur vision du café d’Arles en 1888 avec respectivement “Café à Arles” et “Le Café de nuit”. Ils y décrivent, chacun avec un angle différent l’ambiance si particulière d’un “café de nuit” où trône un billard français au drap vert. Fréquents à l’époque et ouverts toute la nuit ils accueillaient tous ceux qui cherchaient un asile pour la nuit s’ils n’avaient pas de quoi se payer un logement,

- En 1941 dans “Pool Parlor” Jacob Lawrence, illustre une scène le long de Lenox Avenue, une artère emblématique de Harlem, célèbre à l’époque pour ses nombreux établissements de billard. Il y dépeint une salle à la lumière tamisée, ornée de tables de billard américain d’un vert profond, agrémentées de boules de billard aux teintes éclatantes. Des hommes se livrent avec intensité à leur activité à la fois compétitive et communautaire, sous le regard attentif de quelques observateurs. Des volutes de fumée de cigarette et des queues de billard dynamisent l’ensemble de l’image.

Le billard en photographie
Dans la photographie contemporaine, le billard est souvent un motif utilisé pour capturer la tension d’un moment, la concentration ou traduire l’atmosphère particulière d’une rencontre autour de ce meuble si iconique.
De nombreux clichés noir et blanc de Paul Newman, de Tom Cruise ou d’Al Pacino prenant la pose sur une table de billard sont entrés dans l’imaginaire collectif. Encore plus récemment le groupe Arctic Monkeys a posé autour d’une table de billard pour mettre en scène leur connivence.

Bill Brandt, photographe originaire du Royaume-Uni, a lui immortalisé des moments de salles de billard à travers ses photographies en noir et blanc. Ses œuvres transmettent fréquemment des ambiances obscures et enfumées, mettant en lumière la solitude ou l’intense concentration des joueurs. Le billard y est présenté comme un jeu de grande importance, souvent lié à des espaces intimes et confinés.
Mais ce sont sans doute 2 photographes français moins connus qui ont su le mieux retranscrire l’atmosphère et l’ambiance que peut procurer le billard: Maurice Renoma et Benoît Rajau ont en effet chacun réalisé des séries de prises de vues noir et blanc dans des salles de jeu de billard mettant en avant les personnages qui y évoluent. Maurice Renoma reconnaît « Cette maîtrise de la perspective et de la géométrie est la même pour la photographie : c’est grâce au billard que ma vision s’est exercée à la profondeur de champ, et c’est lui qui a rendu mon cadrage photo particulier ».

La photographie réussit à mettre en lumière le billard comme un espace de socialisation et d’interaction, que ce soit dans des établissements publics, des salles de billard ou au sein des foyers. Il est y est représenté dans toutes ses dimensions : une activité récréative, un cadre propice aux échanges et aux rivalités, mises en scène ou non.
Le billard en littérature
Jean Giono a écrit a propos du billard “L’hypocrisie au billard, ça s’appelle les bandes.“ Ce qui en dit long sur la connaissance technique à propos du billard français de ce célèbre écrivain. A l’image de Georges Sand qui pratiquait également régulièrement ce loisir avouant “Je travaille la nuit, je monte à cheval le jour, je joue au billard le soir, je dors le matin. C’est toujours la même vie.” Ainsi le billard, en plus d’être pratiqué par de nombreux écrivains est il devenu une source d’inspiration en littérature.
Un loisir propice à l’imaginaire
A tout seigneur, tout honneur! “The Hustler » de Walter Tevis paru en 1959 est le livre qui a été adapté a l’écran par Robert Rossen avec Paul Newman dans le rôle principal. Le livre explore les thèmes de l’ambition, de la tricherie et de la survie dans un monde compétitif. C’est une œuvre majeure dans la littérature du billard, avec un personnage emblématique d’ « arnaqueur » qui incarne les jeux d’argent et l’obsession du succès.
Plusieurs auteurs ont situé le billard au cœur de l’intrigue de leur récit. Ainsi dans sa nouvelle ‘’La partie de billard’’ Alphonse Daudet nous conte l’histoire d’un général abandonnant l’ensemble de ses troupes à l’inaction dans la boue, afin de s’adonner à une partie de billard avec l’un de ses officiers. Lorsqu’il finit par remporter la partie et décide enfin de donner les instructions tant attendues, il réalise qu’il est déjà trop tard : ses forces sont en pleine débandade.
Dans “Trois carrés rouges sur fond noir” Tonino Benacquista envisage la vengeance comme une partie de billard français à trois bandes. Ce polar évoque à la fois l’univers du billard et celui de la peinture des beaux-arts. Le héros Antoine Andrieux ne vit que pour le billard, se rêvant de devenir un champion et prêt à tout pour arriver à ses fins.
Enfin H. R. F. Keating situe le cœur de l’intrigue de son roman “Un cadavre dans la salle de billard” dans l’un des derniers bastions de l’Inde coloniale, le sacro-saint club de billard de la très chic station de montagne d’Ootacamund. Il y décrit avec un réalisme saisissant l’atmosphère du lieu et les personnages.
Le billard comme sujet d’étude de la société dans la littérature
La sociologie s’est également penchée sur le rôle du billard au sein de la société. En France plus particulièrement le sociologue Sébastien Fleuriel s’est interrogé sur le statut du billard en tant que sport et non plus simple loisir dans “La révolution sportive du ”Noble Jeu” : le billard carambole” publié en 2000. Il a également étudié dans “Le billard français d’élite dans le Nord : sociologie d’un syllogisme paradoxal” l’antagonisme existant entre la pratique populaire du billard dans le Nord de la France et les valeurs bourgeoises historiquement associées à la pratique du billard depuis le 18ème siècle (tenues, salons réservés à l’élite, ambiance feutrée…).
Historiquement, le billard reste associé à la classe ouvrière, en raison de son accessibilité et de sa popularité dans les bars et les clubs modestes. Cela a contribué à renforcer son image de jeu où la ruse peut triompher des privilèges.
Le billard fait partie intégrante de la société et à ce titre trouve toute sa place dans les œuvres artistiques.
Pour conclure nous citerons l’ouvrage de l’historien de l’art Victor Claass qui a publié “Jeux de position – sur quelques billards peints” et pour qui le billard sert de prétexte à une réflexion sur les dynamiques sociales et les modes de perception. Il y examine les raisons qui favorisent l’harmonie entre le billard et les arts visuels. Selon lui, le billard est un espace social, où se croisent différentes classes et genres : les artistes et les illustrateurs populaires portent un intérêt particulier à ces lieux, les immortalisant à travers leur art. Il s’intéresse également à l’esthétique du jeu de billard, notamment à la table et au tapis, souvent de teintes monochromes vertes ou bleues, qui possèdent une dimension intrinsèquement abstraite. Tout se prête donc dès le départ a ce que le billard occupe une place importante dans la culture populaire.

Au sein de celle-ci le billard dépasse son rôle de simple divertissement pour se transformer en un symbole chargé de significations variées : stratégie, compétition, habileté, mais également détente, convivialité et même design. Sa représentation dans les médias le dépeint fréquemment comme un cadre de drames humains et de confrontations, tantôt lié à la séduction, tantôt à la rivalité ou à l’introspection.
Et depuis la fin du 20ème siècle c’est au tour de la musique, de la publicité, des jeux vidéos et des séries de prendre le relai pour révéler la place importante qu’occupe le billard français, américain, snooker ou pool anglais dans notre société.